Nous avons eu l’opportunité, il y a quelques semaines, de visiter une tannerie située dans l’est de la France, à Barr plus exactement, près de Strasbourg. Nous vous proposons aujourd’hui de vous plonger dans les coulisses de cette entreprise. En France, il n’y a plus que cinq ou six tanneries de veau, et la tannerie Degermann est la dernière tannerie indépendante : elle est toujours contrôlée par la famille, installée dans le village depuis le 16ème siècle, et par de multiples petits actionnaires. Ses produits sont très reconnus dans le petit monde du cuir, ils finissent transformés en maroquinerie ou en chaussures (nous en reparlerons plus tard). Trente cinq personnes y travaillent : ce sont des manutentionnaires qui on 30 ans en moyenne, et qui n’ont pas suivi de formation pour apprendre le métier.
Note de Jérémy : Avant de débuter, un grand merci à la famille Degermann pour nous avoir accueilli quelques heures le temps de cette visite. Et un grand merci pour le temps pris pour tout nous expliquer (heureusement, Adrien comprend plus vite que moi.)
Le processus
La tannerie reçoit les peaux salées, afin de limiter la putréfaction (la salaison des poissons et des viandes et un très vieux procédé, qui remonte à l’Antiquité). Lorsque nous sommes arrivés à la tannerie, il était aux alentours de 9 heures du matin et nous pouvons l’affirmer avec force et volonté : ça sentait fort là-dedans.
Non ça n’est pas appétissant, et oui ce sont des mouches que vous voyez tout autour des peaux.
Le cour de la peau est déterminé à Kermené, en Bretagne. C’est un grand centre d’abbatage (l’un des plus grands sites européens) détenu par le groupe E.Leclerc. La vente aux enchères donne un cour de la peau au niveau national. La tannerie Degermann emploie un intermédiaire qui y achète des lots de peau. La clé de la réussite de cette première étape, c’est le partenariat, la confiance établie la tannerie et l’intermédiaire. En effet, l’intermédiaire doit acheter les meilleurs lots de peaux possibles, afin d’avoir un produit fini de la meilleure qualité possible (jusqu’à ce qu’elle soit livrée, la tannerie n’a aucune idée des peaux qu’elle a pu acheter par l’intermédiaire). Un lot de peaux correspond à la vente d’un troupeau par un éleveur. Certains troupeaux peuvent s’être abîmé la peau sur les grillages par exemple, et c’est à l’intermédiaire d’être le plus vigilant possible sur ce point là. La ventes des peaux se fait également dans le sud-ouest de la france, mais de manière beaucoup plus opaque.
À noter : jusqu’à 65% du coût de production est déterminé par le prix de la matière première. On comprend bien à quel point le bon achat de la matière première est crucial pour la survie de la tannerie. Ainsi, une peau ordinaire achetée 120 euros à l’abattoir sera vendue entre 15€ (plus ou moins inutilisable) et 300€ (permet de couper de grandes pièces) au client final, en fonction de la qualité initiale de la peau – car la qualité finale est principalement déterminée par le produit de base.
Après ce réveil tout en odeurs, nous passons à la suite de la visite, et au premier traitement des peaux. De nouvelles odeurs nous assaillent, beaucoup moins désagréables…
Première étape, donc : on porte les peaux salées dans un grand cylindre tournant, en général en bois. Une sorte de machine à laver gigantesque pour peaux de bêtes que l’on appelle “foulon“. Lors du premier foulonnage, les peaux tournent pendant 24 heures dans le chrome, pour dégraisser les peaux et enlever les poils.
Le tannage au chrome permet de stopper complètement la putréfaction des peaux. C’est le but premier de la tannerie, depuis toujours : stopper la putréfaction des chairs et des peaux. À noter : le tannage sans chrome est quasiment impossible, et le tannage que l’on appelle végétal contient, en général, également du chrome. À la sortie de ce foulon, les peaux sont bleues et humides, on les appelle donc … Wet blue.
C’est wet, c’est blue, c’est wet blue.
La couleur comme le toucher sont très surprenant, vous vous en doutez : c’est relativement doux mais rigide. À l’étape suivante, ces peaux sont passées dans une machine à deux cylindres qui va finir d’enlever poils et graisses, dans laquelle les ouvriers passent les peaux une par une.
La grosse étape suivante, c’est le dérayage. On coupe la peau en deux, dans l’épaisseur. On sépare ainsi le derme (la fleur), qui est gardée, de l’épiderme (la croûte) qui est revendue. C’est à la sortie du premier dérayage que les peaux sont numérotées, afin de repérer leur date de passage au foulon.
C’est également à ce moment là qu’est effectué le premier tri des peaux, ici réalisé par Marcel, 40 ans de métier. Marcel trie les peaux à l’œil et au toucher : il garde les peaux de bonne qualité de côté pour les commandes spécifiques, les peaux plus ordinaires, et il reclasse les peaux qui ne valent rien.
Ensuite, les ouvriers effectuent un deuxième dérayage qui vise à amincir les peaux de bêtes (qui pèsent presque mon poids : 35 kilos). Lors du deuxième dérayage, les peaux sont de nouveau coupées pour donner un rendu plus propre. Les chutes sont jetées.
Avant de passer à la suite de la visite, nous sommes passés par la station de déchromage, puis nous avons pénétré dans l’atelier où de nouvelles odeurs, désormais chimiques, nous ont assailli.
Dans ce deuxième atelier, on répartit les peaux suivant les commandes. Chaque foulon (grand cylindre en polypropylène) contient une quarantaine de peaux, qui correspondent à une commande client. Dans chaque foulon est injectée une recette, constituée de graisses animales, de teintures divers et variés. Ce sont de véritables recettes de cuisine, tenues plus ou moins secrètes, qui donnent aux peaux diverses propriétés et couleurs. Les peaux les plus nobles sont nourries de manière naturelle. Pas de plastique dans ces foulons : le plastique, c’est de la triche. Chaque nom de peau correspond à une recette particulière, comme le cuir baranil/barenia par exemple (nous y reviendrons). Notons également que plus une peau foulonne, plus elle s’assouplit.
Les peaux blanches sont des peaux qui ont été déchromées.
Quelques cuirs proposés par la tannerie Degermann (que l’on retrouve sur le site officiel) :
1/2 veau SUPORTLO : bande de veau double tannage, pur aniline, légèrement gras qui incarne parfaitement la beauté du veau pleine fleur. Force: 1,4 à 2,8 mm pour chaussure, maroquinerie et sellerie.
Veau HYDROCALF : veau entier naturel, souple, moelleux et soyeux. Un traitement anti tache lui confère un très bon vieillissement dans le temps. Force: 1,0 à 1,8 mm pour chaussure, maroquinerie et sellerie.
Veau WAXY : veau assez ferme grainé, aniline double ton. Force 1,4 à 2,0 mm pour chaussure.
Pour effectuer de petits tests avant le foulonnage grandeur nature, la tannerie dispose d’une pièce pleine de petits foulons.
C’est également dans cette pièce (en fait, à l’étage) que sont injectés les différents composants pour le foulonnage que nous avons vu au dessus (graisses et teintures).
Si vous lisez attentivement, vous avez lu que Marcel effectuait un premier tri des wet blue pour mettre les meilleures peaux de côté. Ce sont ces peaux (une très petite partie du stock total) que l’on retrouve ici, blanches (après un foulonage ou le chrome a été enlevé). Les imperfections sont plus faciles à détecter sur des peaux blanches. Ce sont ces peaux qui donneront le fameux cuir hermès, appelé cuir Baranil par la tannerie (nom déposé) et cuir Barenia par Hermès.
Ces cuirs sont foulonnés à part, avec une recette bien particulière.
Les peaux en sortent applaties et mouillées. On les étend donc à la main, une à une, et elles restent sur le séchoir pendant trois ou quatre jours. C’est le dernier endroit en France où ce processus est réalisé de manière artisanale.
Le reste des peaux, quant à lui, est repassé sur une grande machine. C’est un immense fer à vapeur qui chauffe à 110/120 degrés et qui détend les peaux, pendant deux à trois minutes. Mais on n’y met pas les doigts, parce que ça brûle. On appelle ce processus “le cadrage”. Les peaux sont ensuite passées dans un palisson qui émet de très fortes vibrations et qui assouplissent la peau.
Enfin, nous passons aux dernières étapes du traitement des cuirs. Les peaux sont déposées sur les fils et pigmentées par allers-retours de la cabine dans le sens horizontal.
La tannerie dispose également d’une ponceuse, afin de produire du veau velours.
Enfin, dernière machine : la machine à satinage, qui donne un aspect… satiné à la peau. La pression exercée va de 600 à 1200 barres, et la température, entre 70 et 120 degres.
Une fois le traitement du cuir tout à fait terminé, on se sert d’une mesureuse laser afin de déterminer la longueur et la largeur de la peau, et ainsi déterminer son prix final.
Quelques photos supplémentaires
Quinze jours de déchets de la tannerie. Poils et graisses de schtroumphs, à savourer entre amis.
Un veau grainé utilisé par une marque de parfum sur mesure.
La visite de la tannerie a duré une matinée entière, et ce fut un réel privilège, à notre sens, que de pouvoir découvrir les arcanes d’une telle industrie. Pour prolonger le plaisir, nous allons désormais vous parler d’une marque qui utilise le cuir de veau suportlo : Jacques et Démeter.
Jacques et Démeter
La marque Jacques et Déméter fait confectionner des souliers en France, à Cholet plus précisément – atelier qui réalise des souliers depuis 1859. Elle a lancé depuis peu une campagne de crowdfunding pour financer son stock et élargir sa gamme. Les produits sont classiques : richelieu, chukka, boots ou encore double boucle.
Les souliers produits ont un certain prix : entre 195 et 350 euros. En effet, tous les cuirs utilisés ainsi que les différents montages (Blake ou norvégien) sont de qualité et très étudiés.
Dans le cadre de cette campagne de financement participatif, les tarifs sont particulièrement intéressants : les réductions vont de 22 à 30%. Le but, pour la marque, est d’atteindre 100 pré-commandes d’ici la mi-octobre, et si l’objectif n’est pas atteint, les contributeurs ne paient rien du tout.
La marque propose notamment deux modèles de workboots réalisés en cuir Degermann suportlo : une paire fauve et une paire ébène.
La marque cherchait un cuir pleine fleur et pur aniline : le cuir est naturel et légèrement gras (le cuir a un aspect mat, ce que recherchait la marque). La patine et le vieillissement du cuir seront authentiques. Comme nous l’avons dit dans le reportage, la tannerie n’ajoute pas de plastique, et ne recouvre jamais ses cuirs pour leur donner un aspect plus brillant. Le cuir a été tanné de façon très lente (rappelez-vous des foulons), ce qui lui permet d’être particulièrement robuste, et donc intéressant pour une paire de chaussures “outdoor” et solide.
Ces paires de workboot ont été réalisées dans un montage norvégien : il y a deux coutures apparentes (verticale et horizontale) qui permettent d’assembler le dessus de la chaussure et la semelle. Ce type de montage est particulièrement solide et assure une parfaite étanchéité de la chaussure.
La chaussure est montée sur une semelle en gomme crantée afin de renforcer la robustesse général du modèle (et sa légèreté) et d’offrir, au final, une chaussure conçue pour résister aux intempéries et à de nombreux types de contraintes que tout autre paire de chaussure subirait de plein fouet.
Nous sommes très heureux d’offrir à la marque une chance de remplir ses objectifs, et nous espérons que vous profiterez de l’occasion pour vous offrir une ou deux belles paires de ces magnifiques chaussures.
Nous espérons que ce reportage vous a plu, nous remercions pour l’occasion Franck, notre guide, ainsi que la tannerie qui nous a ouvert ses portes. C’est une réelle opportunité qui nous a permis de mieux comprendre le cycle du cuir et d’avoir un aperçu de ses vieux métiers pleins d’authenticité.
À bientôt pour de nouvelles aventures,
Adrien, passionné de cuir et scribe lors des visites.
Jérémy, passionné aussi mais qui tient l’appareil photo.
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