Les défilés de Rick Owens font parfois scandale, et les réseaux sociaux auraient tendance à le marginaliser ou à le caricaturer. Il est l’héritier direct de la mode minimaliste des années 80-90, et du mouvement anti-fashion que nous aurons l’occasion de décrypter dans un article prochain. C’est une histoire particulière et intéressante, un homme qui porte une marque que nous allons vous raconter.
Une jeunesse difficile, des débuts prometteurs
Richard Saturnino Owens est né en 1962 à Porterville (Californie), entre San Francisco et Los Angeles, aux Etats-Unis. D’un père travailleur social et d’une mère institutrice, il grandit dans un milieu conservateur, particulièrement religieux. Les parents comprennent très mal un fils timide et efféminé, moqué par ses pairs. C’est de cette enfance un peu difficile qu’il extrait son rejet du monde ordinaire et cherche une beauté particulière, “autre”.
Il rentre à l’université de Parsons (Los Angeles) où il étudie l’art et le design pendant deux ans seulement. Il n’obtient pas son diplôme, jugeant son école trop chère et n’étant pas sûr de pouvoir trouver un travail par la suite. Il quitte donc l’université pour un cours de patronage de deux ans au Trade Technical College de L.A, puis il est mis en contact avec Michelle Lamy, une française qui possède une petite entreprise de vêtements sportswear bon marché. Il travaillera pour elle pendant deux ans, à imiter des vêtements de marques (ce qui n’est pas vraiment complètement tout-à-fait véritablement légal).
Une aparté sur Michelle Lamy
Michelle Lamy, de presque vingt ans l’aînée de Rick Owens, est une extravertie fêtarde, une femme qui a étudié le droit et les lettres, qui fut journaliste à Libération et qui connaissait bien la scène trans parisienne des années 70. En 74, elle s’installe à New-York, puis à Los Angeles où elle créé sa marque (grâce à laquelle elle rencontre son futur mari, Rick Owens). Par la suite, elle se lance dans la restauration (avec “Les Deux Cafés”), ce qui conviendra parfaitement à Rick Owens, à la recherche de tranquillité et de solitude pour le travail. Michelle Lamy est sa muse mais également sa conseillère, son associée et sa partenaire. Derrière ce grand homme se cache une femme polymorphe, curieuse de tout et très intuitive.
A$AP Rocky et Michèle Lamy, coulisses de la fashion week de Paris, septembre 2013. Crédits photo : Joshua Woods. Source
En 1994, Rick Owens lance sa propre marque. Rick Owens souhaitait à ses débuts posséder une petite entreprise confortable et plutôt modeste, mais il souhaitait également être vendu dans les magasins les plus réputés, ceux qui conviendraient le mieux à ses produits. Il commence alors à travailler avec un magasin : Charles Gallay (à Los Angeles), un shop pionnier et avant-gardiste, hype ; le plus gros acheteur de la première saison de Margiela et découvreur d’autres talents. Fin des années 90, Rick Owens, confidentiel, fait parti du milieu transexuel/gay d’Hollywood boulevard, s’encanaille dans le milieu artistique et “rock punk”. Ses amis, il les appelle allors ses “baroque pearls”.
Rick Owens et Godess Bunny, un de ses amis nain transexuel. 1998. Crédits photo : John Lee. Source.
L’explosion Rick Owens
Rick Owens commence dans ces années-là à acquérir une petite visibilité. En 2001, le groupe Eo Bocci Associati le contacte, après l’avoir repéré dans une page de magazine. Ce groupe de manufactures italien cherche alors un porte-étendard pour représenter le travail qui est le leur. Un contrat de distribution est signé, permettant à la société de Rick Owens : OwensCorp, de s’ouvrir à l’international. Toute la production est également relocalisée en Italie. Il commence également à collaborer avec le styliste Panos Yiapanis (un chypriote qui a également travaillé avec Ricardo Tisci et qui a produit de nombreuses campagnes pour Owens, Givenchy, Chanel, Dolce et Gabbana) pour la création des shows.
La même année, la renommée de Rick explose puisque Kate Moss apparaît dans le Vogue français avec l’un de ses cuirs, shootée par Corine Day. Un peu plus tard la même année, Kembra Pfahler (une artiste musicienne, actrice, adepte de performances transgressives) est shootée par Annie Leibovitz dans le Vogue US d’Anna Wintour.
Rick Owens himself, après un récent scandale dû à son mannequin préféré et à Angela Merkel.
En 2002, Rick Owens – sponsorisé par Anna Wintour – défile lors de la fashion week de New York pour la saison printemps/été 2003 (homme et femme). Enfin, il reçoit le titre Perry Ellis de meilleur espoir par le conseil des créateurs de mode américains.
Un anti-conformiste institutionnel
En 2002 également, la grande maison de fourrure française Revillon (fondée en 1723, l’entreprise de luxe la plus vieille de Paris) le contacte. Cette petite entreprise de trois personnes, bien plus petite qu’OwensCorp, il en devient le directeur artistique. Pour le prestige, notamment, mais également parce que c’est l’occasion pour lui de re-créer à partir de rien, et de travailler sur la fourrure, matériau qu’il apprécie particulièrement.
L’intérieur de la boutique Révillon à Paris, une grande maison de fourrure française, dont Rick Owens a pris la direction artistique en 2002.
Depuis 2003, Rick Owens vit à Paris, près de l’assemblée nationale, dans le 7ème arrondissement, dans un hôtel transformé en atelier et en résidence privée. Avec Michelle Lamy, ils sont propriétaires du groupe Owenscorp à 80% (ils sont donc complètement indépendants et le revendiquent fortement), avec aujourd’hui huit boutiques de par le monde : Paris (galerie de Valois, ouverte en 2006), Londres, Milan, New York, Miami, Séoul, Hong Kong et Tokyo.
Automne-hiver 2015/2016, on note le col roulé revenu très fort sur les podiums cette saison. Notez également le travail sur la structure, les lignes verticales. Crédits photo : style.com
Rick Owens vit à Paris mais sort peu (il ne parle d’ailleurs pas français), travaille beaucoup seul, et s’est entouré de collaborateurs uniquement. Cynique, pragmatique, son travail constitue sa principale, voire son unique activité, avec la gym.
Le style Rick Owens
Rick Owens ne dessine pas. Sa courte formation à Parsons lui a laissé quelques traces : le dessin, la peinture sont destinés à l’Art, le dessin de mode est trop superficiel, “cliché”, et trop peu réaliste pour être réellement utile. De même, les collages, les murs d’inspirations lui sont étrangers : comme pour le dessin, ils constituent des étapes qui ne sont pas nécessaires ; il préfère aller très directement au vêtement lui-même, porter une véritable expression et réaliser des pièces plutôt que d’ajouter une étape supplémentaire et pas assez technique à son goût.
C’est une pièce de ce type qui a provoqué le buzz, révélant les parties intimes d’un mannequin. Ici également, Rick Owens a joué des codes de la tunique en la renversant (d’où le trou aux alentours de l’entre-jambe). Automne-hiver 2015/2016. Crédits photo : style.com
Il travaille donc à partir d’images, directement sur les mannequins. Il travaille ensuite sur les proportions, puis coupe, re-coupe, retravaille les proportions et ajoute des lignes.
Son style est devenu culte, et le temps où sa marque était confidentielle est bien loin : des groupes comme H&M proposent des portants entiers très inspirés du travail de Rick Owens, avec des jeux de drapés et des asymétries particulières (une pièce déstructurée avec le prix et la qualité d’un prix H&M : nous ne sommes pas convaincus…).
Automne-hiver 2015/2016. Crédits photo : style.com
La jeunesse de Rick Owens, et son premier travail sur le style sportswear ont considérablement influencé le design des pièces qu’il défend depuis qu’il a lancé sa propre marque. On pense bien entendu à ses sneakers, et notamment aux Geobaskets, qui constituent, selon le créateur lui-même, en un mélange des motifs Puma, Adidas, et Nike.
Une paire de Geobasket de 2008 : on comprend bien l’influence de Nike et du swoosh notamment (ce qui ne leur a pas beaucoup plu, on l’imagine bien) Crédits photo : grailed.com
Une influence sportswear, pour travailler sur des pièces basiques (jeans, tee-shirt, sneakers), couplée à un désir de faire du beau “autrement”, de créer de la beauté, boursouflée, hybride et exagérée : d’où le goût du drapé et de l’asymétrie, des volumes travaillés et re-travaillés pour des pièces à la fois amples mais très structurés. Un travail sur la souplesse dans la structure : comme, par exemple, le magnifique travail du cuir grâce auquel Rick Owens s’est fait connaître.
Veste en cuir avec châle, 2970 euros chez LuisaviaRoma.
Rick Owens cherche le beau ou qu’il soit : dans l’architecture, dans le design d’intérieur, dans les vêtements, dans les foires d’art contemporain ; mais en traitant la beauté à sa manière, en la rendant surnaturelle.
La proposition Rick Owens, ça n’est pas de créer du gothique, ni même du dark : c’est de créer de l’organique et d’en jouer, de dissocier les codes classiques pour les bousculer. On note, bien entendu, la prédominance du noir (parfois accompagné de gris, beige, taupe), mais il n’est qu’un outil, afin que chacun se concentre sur le jeu des textures, des volumes et des matières. Le style de Rick Owens est tissé de paradoxes, il est hybride, masculin et féminin, et futuriste.
Automne-hiver 2015/2016. Crédits photo : style.com
Ces défilés convient des fans habillés en Rick Owens de la tête aux pieds : caricatures pour certains, simples fanboys (fangirls) pour d’autres, ces amoureux de l’univers du créateur viennent admirer des shows particuliers, hors des sentiers battus. Les mannequins de Rick Owens possèdent toujours un physique particulier : ils ne sont pas “beaux” selon les critères de notre époque, mais ils le sont en attitude, ou bien simplement “à leur manière” (on retrouve donc l’envie de Rick Owens de jouer avec les critères du beau, et de rejeter ce qui est “normal”).
Lorsqu’il défile au début des années 2000, Rick Owens fait dans la sobriété : il expose son travail, de manière timide, classique, sombre. À l’inverse, aujourd’hui, on assiste à un show-théâtre parfaitement mis en scène, qui doit saisir : Rick Owens en joue, il choisit lui-même le groupe de musique, et le tutti quanti de l’évènement.
Ces show génèrent des buzzs pour le moins impressionnants, et révèlent le côté spectaculaire, quoique institutionnalisé, de ces défilés hors-normes. Pour nous, chaque collection contient au moins quelques pièces intéressantes, mais ça n’est pas tant dans son travail actuel que dans son trajet, son parcours ainsi que dans l’empreinte qu’il laissera dans l’univers masculin que Rick Owens nous fascine. Un univers que nous explorerons également régulièrement, riche de nombreux tours et détours.
On espère que ce petit éclaircissement, sur ce créateur qui fait régulièrement le buzz sur internet, vous permettra de mieux comprendre le personnage et son univers.
S'inscrire à la Newsletter
Mode, Style, Tendance, Lifestyle et tests produits. Une fois par semaine.
Merci pour votre inscription.
Quelque chose n'a pas fonctionné.
lewis
April 24, 2017 at 8:58 pmmerci ..je comprend en fin ce personnage qui m’a toujours intrigué.
Amandine
September 27, 2017 at 12:17 pmSuper article, on en apprend beaucoup. Je me permets de vous citer sur la page du créateur sur notre site internet et de partager votre article très bien écrit. Hâte de recevoir la collection SS18!
Renaud
September 27, 2017 at 12:31 pmMerci pour votre message :).