Il y a ces créateurs que l’on rencontre par des salons, ceux qui nous contactent directement, et il y a ceux dont on fait la connaissance par hasard, en flemmardant sur internet. Les incompétents est une petite marque de Montréal, très récente, aux deux collections et à l’univers très particuliers : ses créateurs nous expliquent ici leur démarche, leurs inspirations, leurs objectifs. Tenez-vous bien, ça va bouger !

 

Le tumblr des deux créateurs, Stephen et Emeline, décrit leur monde, leur(s) sensibilités et leur travail, et nous renvoie à nos propres conceptions de l’univers du textile : les connaissances techniques que l’on pense nécessaires à la création d’une marque, ou la vision utilitaire et économique que l’on pense être au premier plan de la création par exemple. Vous le lirez ci-dessous, tout ceci peut très rapidement s’évacuer lorsque les efforts nécessaires sont fournis.

Les incompétents

L’une des premières photos que j’ai pu apercevoir en atterrissant sur leur tumblr, puis sur le site internet. 1ère collection. Les motifs de la marque proviennent parfois du domaine de la tapisserie.

 

Nous nous attarderons donc sur le travail de deux créateurs artisans qui proposent une ligne de vêtements bien loin du “mass market” traditionnel. Derrière les incompétents se cachent deux individus qui n’ont pas suivi d’études dans le stylisme/modélisme pur, et qui sont conscients des lacunes techniques et des efforts qu’ils doivent fournir afin de proposer des produits de plus en plus qualitatifs. Une marque d’humilité on ne peut plus touchante. Interview des créateurs et mise en perspective de leur produits.

L’interview des créateurs de la marque “Les Incompétents”

BW-YW : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous faîtes ?

 

Nous designons et réalisons des vêtements pour homme et femme (parfois unisexe). Les Incompétents est à la fois le nom de la marque et à la fois un adjectif qualifiant ses deux designers. Notre vision est celle d’individus en constante évolution, conscients de leurs faiblesses pour tirer le meilleur d’eux-mêmes.
les incompétents automne hiver 2014 2015

Collection automne hiver 2014/2015. Des silhouettes simples mais particulières, que l’on décrit un peu plus loin.

 

BW-YW : Comment définiriez vous les vêtements que vous créez ?

 

C’est une question extrêmement difficile pour nous, nous ne voulons pas être catégorisés. L’essentiel pour nous est de faire des pièces qui peuvent se porter avec simplicité, tout en affirmant sa personnalité.

 

BW-YW : Comment-avez vous débuté dans la mode ?

 

Par nécessité. Nous avons quitté la France en 2011 pour poursuivre nos études à Montréal. Nos priorités budgétaires ayant changées avec cette aventure, nous avons voulu nous habiller pour pas cher, tout en ayant des pièces de qualité et originales. Emeline a appris à coudre et à faire des patrons avec sa mère plus jeune, il nous manquait juste une machine assez performante et des matériaux de qualité pour concrétiser toutes nos idées. L’idée de fonder notre marque est née au détour de rencontres, car c’est en portant nos pièces que nous avions suscité de l’intérêt auprès d’amis, d’acheteurs et d’inconnus.

 

Adrien : apprendre à créer ses patrons et à coudre est relativement complexe pour n’importe quel béotien. Créer ses propres vêtements, pour soi et ses amis, c’est ce qui motive la plupart des créateurs contemporains que nous rencontrons, mais de l’idée à l’action, il y a un pas important et difficile à franchir. Et que dire de la commercialisation de produits que l’on confectionne soi-même !

les incompétents 2014 2015

Collection femme automne hiver 2014/2015.

 

BW-YW : Quels sont vos parcours respectifs ?

 

Nous sommes toujours aux études. Stephen termine son école de commerce en Décembre. Parallèlement à ses études, il a notamment fait des stages en communication et médias numériques, et travaillé pour des enseignes telles qu’Esprit, Lacoste, ou le Groupe Aldo. Emeline finit son Bachelor en Urbanisme en avril prochain. Elle a également participé à différents projets créatifs dans le domaine des Arts Appliqués, notamment en architecture d’intérieur, et dans l’aménagement territorial aux cotés d’urbanistes.

 

BW-YW : Quand avez-vous réalisé que le stylisme était l’idéal pour vous ?

 

Ce n’est toujours pas le cas en fait… Nous n’avons pas un idéal prédéfini. En expérimentant dans notre petit coin, nous avons senti que c’était une discipline et un Art dans lequel nous nous plaisions, et dans lequel nous voulions progresser et évoluer.

 

BW-YW : Quels sont les personnes qui vous ont le plus inspiré, et en quoi l’ont-elles fait ?

 

Carol Lim et Humberto Léon, qui sont les deux co-fondateurs de OpeningCeremony : ils n’ont pas fait de grandes études de stylisme – genre Parsons à New York – et ils n’avaient que des ressources très limitées au départ. Cela nous prouve que tout est possible et nous encourage à nous dépasser même dans les moments difficiles. Ils sont tous deux co-directeurs artistiques chez Kenzo, ce qui montre qu’avec du courage et de la détermination tout est possible.

humberto leon et carol lim

Adrien : Humberto Leon et Carol Lim, fondateurs de Opening Ceremony, sont responsables du come-back détonnant de la marque Kenzo. Nommés en 2011, ces deux têtes curieuses ont notamment complètement transformé l’univers artistique de la marque, refondé les sites internet, le blog, relifté les magasins, et ont retravaillé le positionnement prix de la marque.

 

BW-YW : Pourriez vous en dire plus sur le blog : comment fonctionne t-il ?

 

Nous postons tout simplement les photos que nous prenons au quotidien, grâce à nos téléphones portables, ou avec nos appareils, tous les deux sans concertation préalable. Nous sommes un binôme avec deux paires d’yeux, et cela enrichit nos univers respectifs. Que ça soit des couleurs et formes intéressantes dans le paysage urbain, ou les “behind the scene” de nos photoshoots, ou nos chaussures, ou encore des selfies… ce sont toutes des captures de notre environnement, de ce que nous sommes et de ce qui nous touche et influence.

les incompétents tumbler

Photo issue du tumblr.

 

 BW-YW :  à quoi sert-il ? Qu’essayez vous de communiquer à travers lui ?

 

Le blog est un moyen de partager nos aventures avec notre entourage et les personnes qui ont un intérêt pour notre marque. C’est une sorte d’autobiographie éphémère et en constante évolution. Mais il sert aussi comme support de communication sur nos créations, la façon dont nous les habillons etc.

 

BW-YW : Comment se passe le travail en duo ? êtes vous complémentaires, avec des tâches différentes et respectives, ou bien travaillez vous tous les deux sur toutes les tâches ?

 

Nous aimons travailler ensemble et idéalement au même moment, ce qui n’est pas évident vu nos emplois du temps mais qui nous semble être nécessaire. Note d’Adrien : problème récurrent pour tous ceux qui ne peuvent vivre de leur activité. Jérémy et moi le savons bien également. Toutefois, nos projets sont en ébullition dans nos têtes à chaque minute, et quotidiennement nous élaborons nos réflexions de notre coté, jusqu’à ce qu’on se les partage. Il n’y a pas de tâches exclusives pour l’un ou pour l’autre, nous sommes des débutants dans tout, ainsi nous partageons, créons et agissons d’un commun accord. La confection des prototypes est plutôt réservée à Emeline, mais dès qu’il s’agit de produire en quantité Stephen prend part au processus.

 

Pour la partie créative, nous confrontons nos idées, et par un travail commun nous arrivons à une idée commune.

 

Adrien : C’est une stratégie gagnante, et ce quelque soit la taille d’une structure : travailler chacun selon sa spécialité, et mettre en commun en permanence afin de prendre les bonnes décisions. C’est ce qui donne une collection réussie et un élan particulier à une marque ou à une entreprise.

les incompétents 2014 2015

 

BW-YW : Quels sont les obstacles majeurs auxquels vous avez dû faire face ?

 

Les obstacles majeurs que nous avons rencontrés, et que nous rencontrons toujours, sont les gestions d’emplois du temps et les finances. En effet, en plus de la marque nous sommes tous les deux à plein temps à l’université et nous avons également des emplois à temps partiels. Il est difficile d’accorder des agendas si remplis, soit un minimum de 15h de cours, 25 à 35h de travail, et du temps pour Les Incompétents. Bien que nous aimions tous les deux nos domaines d’études, on se sent parfois un peu retenus en laisse pendant les périodes d’examens ! Ensuite, pour le moment nous finançons majoritairement la production grâce à nos jobs à temps partiels et à l’aide de nos proches. Comme tous les débutants nous avons fait des erreurs et perdu de l’argent, mais ça fait partie du processus d’apprentissage, et d’évolution.

 

Adrien : on s’en rend peu compte en tant que client, mais créer une collection nécessite de gros investissements : matières premières, packaging, transports, imprévus en tous genres. Il faut beaucoup d’abnégation et de persévérance pour sortir une première collection, certains prennent des années entre l’idée première et la mise en place réelle de la marque.

 

BW-YW : Quelle place tiennent les matières dans le processus de création : quelles matières et pourquoi ?

 

Nous adorons tous les deux nous balader dans les magasins de tissus en laissant traîner nos mains sur les différents matières. Stephen recherche surtout le confort et Emeline aime ne pas prendre pour acquis la fonction et l’utilisation habituelle des matériaux. C’est ce qui nous a permis de tomber sur des matériaux originaux et des pièces de tapisseries qui ont été comme un leitmotiv dans notre première collection. La matière et les couleurs sont souvent les points de départ de notre processus créatif.

 

Note d’Adrien : on vous encourage à faire de même : laisser traîner vos mains un peu partout et dans tous types de magasins, le toucher est aussi important que la vue du point de vue du matériau. Vous ferez également de belles découvertes.

les incompetents 2014 2015

 

Adrien : Une silhouette que j’aime beaucoup. Sidney vous propose parfois des tenues un peu semblables, streetwear et très épurées à mon sens, jouant sur les proportions plus que sur les couleurs, très simples. Quelques éléments reconnaissables : très faible ouverture à la cheville, haut peu cintré (vêtements amples), jeu sur les superpositions et les textures. Il faut une morphologie particulière – être grand et mince – pour ce style.

 

BW-YW : Comment faites-vous votre sourcing ?

 

Le sourcing est pour l’instant 100% local, nous faisons affaire avec des grossistes en tissus et des petits fournisseurs également. Les petits fournisseurs peuvent par contre poser problème car les quantités disponibles sont parfois insuffisantes.

 

BW-YW : Où se passe la confection ?

 

À la maison, dans notre trois pièces, dont une a été convertie en véritable atelier de confection. Si nous avions pour la première micro-collection confié une partie du processus à une couturière, nous avons décidé de ramener la production à la maison pour plusieurs raisons. La première est financière, faire produire de petites quantités à l’externe revient trop cher. Deuxièmement le contrôle de la production est restreint, il est parfois difficile d’obtenir le résultat voulu. Ayant des bases et ayant acquis du matériel nécessaire, nous pouvons nous pencher pendant une nuit entière sur l’encolure, la longueur ou encore les détails de nos modèles. Et puis, il n’y a personne pour nous dire que ce n’est pas la bonne technique ou que c’est impossible ! Nous faisons des prototypes que nous modifions jusqu’à ce qu’ils tombent parfaitement comme nous le voulons. Pour le moment nous procédons de cette façon pour la prochaine collection, on ne demande qu’à être débordés et confier la production à des ateliers de plus grandes envergure !

Les incompétents

Ma silhouette préférée avec ce t-shirt 100% coton, avec un empiècement en denim au dos. 75 dollars. Rien à voir avec les vêtements cintrés que nous offre aujourd’hui le marché. Très intéressant du point de vue stylistique quoiqu’il arrive !

Les incompétents

Jupe coupe droite, taille ajustable avec lacet. Patch brodé “les incompétents” sur la hanche droite, 70 dollars. Sweatshirt brassière à manches longues avec un col en entonnoir relâché. Patch brodé “les incompétents” dans la nuque. Bas ajustable avec lacet. 95 dollars.

 

BW-YW : Avez vous des projets de revente en point physique ?

 

Oui, nous avons des pièces dans une boutique montréalaise, qui est sensible aux marques locales situées au coeur du quartier de la Petite Patrie. Pour le reste, par bouche à oreille et via les réseaux sociaux, et nous ouvrons avec plaisir les portes de chez nous pour recevoir les personnes intéressées par notre travail.

 
 
Merci pour vos réponses et nous vous souhaitons une bonne continuation ! De notre côté, on espère que nos lecteurs auront compris qu’il existe d’autres manières de créer, loin des écoles de mode, et pourtant bien différentes de ce que l’on peut vois chez nos petits créateurs parisiens !
 
Adrien
 

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