La plupart du temps, les blogs de mode homme conseillent le port du jean brut selvedge standard. Ces jeans sont plus faciles à porter, ce sont des sans fautes assurés, des basiques du vestiaire masculin. Mais lorsque l’envie “d’aller voir plus loin” se fait sentir, les conseils se font plus rares. Certaines marques sont citées, mais jamais analysées en profondeur. Nous vous avions déjà parler d’Acne dans notre article sur les jeans gris qui propose des jeans délavés sympathiques pour le prix. Mais nous souhaitions vous proposer une vision du jean encore plus radicale et plus intéressante encore. Parmi les marques haut de gamme régulièrement citées, la marque Kohzo fait figure de référence dans le petit monde des initiés du denim. D’aucuns affirment que ces produits (portés par Justin Bieber et Lenny Kravitz) seraient “les meilleurs jeans au monde”. Nous avons contacté la marque Kohzo qui a eu la gentillesse de nous inviter pour une rencontre au salon du Tranoï femme qui s’est tenu du 26 au 29 septembre. L’occasion pour nous de rencontrer son créateur, Shauket Imam, et d’échanger avec lui autour des spécificités de ces jeans hors du commun.
Shauket Imam est déroutant. Son regard, son sourire et ses lunettes rondes lui donnent l’allure d’un hindouiste perdu dans les allées du salon, mais son énergie, son look, ses manières d’agripper un pantalon pour vous le mettre entre les mains lui donnent des airs d’expert ès-textile. Pour ma part, j’avais décidé de préparer cette interview de la manière la plus scolaire qui soit : avec mon carnet de notes, mon stylo plume, mon anglais approximatif et ma paire de Lanvin édition collector. J’étais bien loin de m’imaginer que Shauket serait aussi chaleureux, généreux, critique à l’égard de notre société et en même temps si optimiste quant à notre pouvoir de changer les choses.
Il a du style, le jeune homme !
“Together we are stronger than Obama”
Durant ces quelques premières minutes d’entretien, le créateur semble bouillonner d’énergie et me parle de son amour du denim, du sport, des traditions, du monde de la mode. S’il fait ce métier, me confie-t-il en posant ses mains sur mes épaules, c’est parce qu’il pense qu’il peut changer les choses. Les créateurs, unis, possèdent un formidable pouvoir économique et moral (nous y reviendrons) et c’est de leur responsabilité d’agir.
Descendant d’une famille de l’industrie textile, Shauket Imam, d’origine perse et japonaise, a été élevé entre Londres et la Suisse. Shauket a vécu l’arrivée massive du jean en Europe de l’Ouest, venu tout droit des Etats-Unis durant l’après-guerre (au cours des années 50 et 60) et se rappelle avec émotion du premier jean que son père lui a acheté. Son amour du denim – comme symbole de rébellion – remonte à sa jeunesse, et ne l’a jamais quitté. Shauket Imam a obtenu deux diplômes en Angleterre : l’un en tant que membre de l’institut textile de Manchester, le second dans l’ingénierie textile (d’où son goût pour les matières et procédés particuliers) et le design de la mode à Londres. À l’âge de 26 ans, il est embauché par Levi Strauss et devient ainsi chief designer : métier qu’il exercera aux États-unis (à San Francisco) de 1971 à 1986, et qui lui permettra de voyager partout autour du monde (97 pays visités au total).
En 1986, Shauket décide de quitter Levi’s, par lassitude, et surtout par envie de nouvelles aventures. Il désirait en effet devenir son propre patron, créer ses propres jeans et ne plus dépendre d’une quelconque hiérarchie. De 1986 à 1990, il travaille en free-lance pour plusieurs entreprise. En 1990, il créé sa propre marque : Kohzo.
Le terme Kohzo provient de la langue japonaise. Le kohzo est un papier aux longues fibres issu du mûrier à papier. En l’occurrence, Shauket utilise un type de papier particulier appelé washi pour la confection de ses jeans. Le créateur adore utiliser ce matériau qu’il retrouve dans les fenêtres, les murs, etc.
Le fameux jean en washi. Texture très douce (on a véritablement l’impression de toucher du papier) et élasticité surprenante pour ce jean qui paraît très classique au premier abord.
Shauket Imam est très impliqué dans la gestion durable des ressources environnementales. Shauket m’a répété à plusieurs reprises que cela était primordial et au coeur même de son entreprise : combiner valeurs traditionnelles occidentales, orientales, avec des technologies à la pointe de la modernité afin de laisser une empreinte écologique la plus petite possible. Ainsi, produire un jean classique requiert par exemple 7 litres d’eau (polluée, sic), et la marque, grâce à différents procédés techniques artisanaux a pu faire descendre ce chiffre à 1,2 litres. C’est loin d’être anecdotique : chaque produit est pensé et confectionné selon des critères drastiques en matière écologique.
Pour autant, développement durable ne signifie pas techno-phobie. À dire vrai, la démarche du créateur est en tous points exemplaire : loin du pessimisme généralisé qui affecte le milieu de la mode, Shauket Imam tente de se réapproprier d’anciennes et de nouvelles techniques afin de créer des jeans exceptionnels.
C’est une équipe de 9 designers qui entoure Shauket Imam. Si c’est bien lui qui dessine les motifs, insuffle les grandes lignes de chaque collection homme et femme, c’est bien le travail de l’équipe entière qui permet de développer des produits en un à trois ans. Ses collaborateurs, tous trentenaires, sont de différentes nationalités : français, taïwanais, japonais, chinois… La multi-culturalité, la jeunesse, l’esprit de collaboration sont au cœur du processus créatif. Ses inspirations les plus fortes proviennent des jardins dans lesquels il aime se balader (il possède lui même un grand jardin), du football et du comportement des personnes autour du terrain, du sport de manière plus générale, et de photos que ses amis lui envoient de temps en temps.
La photo ne rend pas hommage à la texture incroyable de ce jean. Le délavage a été obtenu grâce à la macération d’un fruit et de ses feuilles : le kaki. La boue est enduite sur le jean. Quelques traces blanches sont visibles sous le rivet de la poche gauche.
La grande majorité des jeans est confectionnée en coton, matière que le créateur apprécie pour des raisons particulières : le coton utilisé est cultivé au Zimbabwé, dans des fermes du haut plateau contrôlées par des entreprises japonaises. 500 fermiers vivent ainsi de cette industrie qui produit l’un des meilleurs cotons au monde : cultivé en altitude, les pousses ne sont pas envahies par les parasites et ne reçoivent aucun pesticide. Dans ces conditions merveilleuses, au soleil, le coton, ramassé à la main, produit des fibres longues et d’une exceptionnelle qualité. Il existe une controverse au sujet du coton zimbabwéen, puisque le pouvoir en place est une dictature corrompue. Lorsque je soulève le problème auprès de Shauket, et que je demande si l’entreprise paye des pots de vin à l’administration locale, Shauket dénie catégoriquement et m’explique que cela rendrait la philosophie de la marque entièrement caduque. Il n’est pas au Zimbabwé pour faire de la politique, il permet simplement à 500 ouvriers agricoles de vivre décemment. À titre personnel, j’aime beaucoup cette philosophie non pas libérale mais libertaire qui se préoccupe plus des “vrais gens” que de grands idéaux.
Shauket exècre l’industrie du jean qui utilise de la poussière de coton pour la confection des jeans mainstream et de la javel pour le délavage. Au japon, les jeans Kohzo sont partiellement réalisés à la main, sur d’anciens métiers à tisser traditionnels (vous connaissiez certainement le goût des japonais pour ces machines “vintage” qu’ils ont racheté aux américains et qui leur permettre de produire des jeans premium de qualité exceptionnelle).
Le délavage se fait également de manière artisanale, grâce notamment à deux ressources que les littoraux japonais possèdent en quantité… les coquillages et le sable ! Et c’est grâce à ces matériaux que Kozho utilise moins d’eau et pollue également bien moins que les industries modernes du jean.
Chez Kohzo, on abhorre la javel ou les pièces ponces (techniques par ailleurs ultra toxiques pour les ouvriers et ultra polluantes) – on préfère les ingrédients 100% naturels. Ce jean paraît avoir été porté plusieurs dizaines d’années … Mais il est neuf !
Ce jean “samouraï”, en hommage à la tradition japonaise, rappelle que chaque jean est le fruit d’un travail traditionnel ET technique. L’artisanat et les techniques traditionnelles orientales se mettent au service du plus occidental des vêtements : le jean.
Le jean tartan rouge, le coup de coeur de Sidney
Le jean est d’abord teint à l’indigo naturel. Il est ensuite passé dans une machine, où l’imprimé est dessiné au laser (comme dans Iron Man). lorsque Shauket m’explique le procédé, il mime les lasers autour du jean, puis m’explique qu’il n’existe que quelques machines au monde capables de réaliser ce travail, en fait des robots présents au Japon et en Chine. Des robots ultra précis initialement destinés à l’industrie automobile.
Non vous ne rêvez pas, c’est bien un jean en cuir de cerf que vous avez sous les yeux. Le cuir de cerf était particulièrement utilisé durant la période Edo chez les samouraï (d’où, là encore, le nom du jean) et Shauket désirait créer un jean dans ce matériau très spécifique. Trois ans ont été nécessaires pour développer ce produit, de l’idée au jean final. L’intérieur est doublé en coton. Shauket m’a par ailleurs assuré que le pantalon pouvait supporter des lavages à 60 degrés (!) et que certains de ces amis l’avaient déjà fait à plusieurs reprises : le pantalon reprend sa forme de manière tout à fait normale.
Un grain remarquable.
Pour la printemps/été 2015, Shauket Imam a intégré une nouvelle matière très inattendue, appelée french terry cotton, que l’on pourrait traduire par…coton éponge. Ce coton en boucles peut absorber de grandes quantités d’eau, on l’utilise notamment pour les serviette, les gants de toilettes, etc.
Il a des airs de sweatpants ce jean.
On obtient du coup un jean ultra confortable et flexible, avec lequel on peut aller au sport sans problème. C’est par ailleurs l’un des objectifs principaux de Shauket Imam : dans ses recherches en prospective stylistique, Shauket a voulu créer des pièces avec lesquelles il serait à la fois possible d’aller au travail, au bureau, puis au sport. L’élégance et le confort poussés à leurs extrêmes grâce aux nouvelles technologies. Ainsi, j’ai pu toucher des jeans pour femme en résine de polyester et coton, ultra-souples, qui ressemblaient à des jeans standards (outre la poudre de coquillage qui donnaient des reflets argentés au dit jean). J’ai également pu toucher des jeans de la collection femme réalisés en papier.
On perçoit très bien les feuilles mises bout à bout pour obtenir “la toile”.
Ou encore cette veste, également en papier.
La veste est également recouverte d’une couche de carbone.
Si les jeans sont les pièces les plus connues de Shauket Imam, il faut savoir que chaque collection homme et femme comprend également des tee-shirts, des chemises (en jean), des vestes, etc. Si ce fou furieux du denim concentre certainement la grande part de son énergie à trouver de nouvelles matières et à explorer et de nouveaux moyens et procédés techniques pour réduire la pollution causée par l’industrie du jean, son élan créatif ne se limite pas qu’à un seul type de pièce. Au fond, ce créateur est un philosophe qui s’ignore, puisqu’il aborde la vie avec les yeux d’un enfant, et cherche la sagesse dans ce que la terre nous offre de plus précieux.
Vous pouvez retrouver les collections Kohzo chez l’éclaireur. Quant à moi, j’espère que ça vous aura plu, je vous retrouve très bientôt pour de nouvelles aventures !
Adrien, qui rêve de son jean Kohzo
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